Valoriser la tâche des professeur.e.s
Régulièrement, nous pouvons constater à quel point la tâche des professeur.e.s est méconnue. Quand on nous souhaite de bonnes vacances d’été à la fin de la session hiver et « bon retour en septembre ». Quand les gens sont surpris d’apprendre que nous devons faire des demandes de subventions pour pouvoir faire une grande partie de notre recherche, et que même si notre projet est jugé approprié et de qualité, il ne sera pas nécessairement financé. Quand on doit expliquer que nous ne sommes pas payés en surplus lorsque nous acceptons de faire la révision de l’article d’un collègue… et que nous ne sommes pas payés non plus lorsque nos articles sont publiés dans une revue. D’ailleurs, nous ignorons souvent ce que font nos collègues, bien que la tâche des professeur.e.s. soit « définie » dans la convention collective (article 10) et qu’avec les formulaires FARE nous la présentons en assemblée départementale au moins une fois par an. En vérité, une des caractéristiques principales de notre tâche est sa diversité, entre professeur.e.s, et souvent aussi pour chacun.e dans le temps.
Un des premiers défis que le syndicat a eu à relever dans les années 1960, lors de la création de l’université par la fusion de différents établissements, a d’ailleurs été de tenter d’harmoniser les conditions de travail des professeurs d’horizon très différents. Ce fut central dans la négociation de la première convention collective. De nos jours encore, nombre de discussions en comité des relations de travail en traitent. Pourquoi en est-il ainsi ? Tout comme nous devons le faire auprès des gens externes à l’université, trop souvent nous devons expliquer aussi à l’interne que notre tâche ne se résume pas à de l’enseignement, qu’un professeur qui n’enseigne pas une session n’est pas en vacances pour autant ! Que de participer à un colloque dans un autre pays n’est pas une façon d’obtenir des vacances payées. Il est important de démystifier les différents aspects de notre tâche : enseignement, recherche, services à la collectivité et, parfois, direction pédagogique (direction de programme, d’unité de recherche ou de département). Pour être valorisée, la tâche du professeur doit être comprise et elle ne l’est pas.
L’enseignement, c’est simple, facile à comptabiliser, n’est-ce pas ? Ça l’était déjà dans notre première convention collective, 4 cours sur les deux sessions de l’automne et de l’hiver. Cela n’a pas changé me direz-vous. Et pourtant, les enseignements varient énormément : cours magistraux, cours avec laboratoire, supervision de stages, cours intensifs, cours en ligne… Quatre cours différents ou certains repris plus d’une fois dans l’année. De nombreux programmes se donnent sur les 3 sessions. Et vers quoi allons-nous aujourd’hui, avec toutes nos formations à distance asynchrones ou synchrones, hybrides, comodales, alouette ? En plus, ce n’est pas toujours 4 cours : c’est 6 cours pour les professeurs cliniciens, souvent avec, en cadeau, le facteur de multiplication horaire des laboratoires et des stages cliniques. Pas si simple, donc, et différent d’un secteur à l’autre.
Convention collective 1970
Article 8 Enseignement
8.2 La tâche d’enseignement du professeur ne peut dépasser quatre cours-session (ou l’équivalent à déterminer par l’assemblée départementale) répartis sur deux sessions pour une année contractuelle.
8.4 À moins d’entente entre l’Université et le professeur concerné, celui-ci doit consacrer la troisième session à la recherche, se réservant un mois de vacances tel que stipulé à l’article 26.
Article 10 Recherche
10.1 Tout professeur, après entente avec son directeur de département, peut accepter à titre de charge d’enseignement à temps complet ou à temps partiel de participer à un projet de recherche à l’Université.
10.2 En aucun temps, ces fonctions de recherche ne motiveront des conditions de rémunération moindre que celles dont jouirait le professeur s’il assumait une fonction normale d’enseignant.
La recherche, comment l’expliquer ? Comment s’y retrouver quand, entre nous on ne se comprend pas toujours ? Chaque discipline étant comme un pays différent, avec ses langues et ses coutumes. Si l’herbe est plus verte chez le voisin, sa recherche n’est pas toujours considérée quand on ne la connait pas, quand on ne la comprend pas. Quelle place prend la composante recherche de notre tâche ? Voyons il y a 50 ans, la recherche autre que celle que tout professeur peut effectuer à la session été peut tenir lieu d’enseignement et donc réduire le nombre de cours à dispenser. La recherche comme activité estivale, que l’on peut faire si on le veut bien! Ça ou la plage. Pas étonnant si plusieurs la considèrent comme le hobby des professeur.e.s encore aujourd’hui.
Comment faire comprendre qu’il n’y a pas d’Université sans recherche. Que le développement des connaissances et leur transmission sont l’essence même de l’universitaire.
Il faut expliquer, encore et encore, que si l’école transmet le savoir, l’Université le crée, l’enrichit, en est la source. Nous avons un important travail de communication à faire sur ce point. Combien d’étudiants disent encore qu’ils vont à l’école ? Pour certains, la différence entre les études de premier cycle et le CÉGEP n’est pas évidente, c’est vrai. Plusieurs écoles se sont incorporées à l’Université, mais nous ne mettons pas assez en évidence le pourquoi de cette évolution. C’est le besoin d’un savoir vivant, qui intègre les données les plus à jour, qui demande de les comprendre, pas seulement de les apprendre… L’université vise la formation de citoyens à l’esprit critique qui rejettent les hypothèses obsolètes, qui se questionnent toujours sur les acquis, qui doutent, non pas pour ignorer le savoir, mais pour le renforcer – pour former une nouvelle génération plus forte que la précédente. Il faut rappeler l’importance, pour atteindre ces objectifs, de notre apport spécifique dans la formation des étudiants-chercheurs et assistants de recherche de tous les cycles d’études, afin de leur partager notre passion et notre savoir-faire.
Oublier ou négliger la place de la recherche dans notre tâche, c’est nous dévaloriser. Et nous faire oublier l’importance de cet aspect de notre fonction, c’est dévaloriser l’Université. C’est pour cela que le combat pour défendre la liberté académique est vif et toujours d’actualité. L’indépendance d’esprit et de moyens est un prérequis de notre fonction. La possibilité de discuter, de publier, de s’exprimer librement, est une évidence qu’il faut protéger des modes et des forces politiques et économiques et même sociétales.
Et que dire des services à la collectivité, le parent pauvre de notre tâche. Certains les considèrent pour 5 % de l’ensemble de la tâche. On demande parfois, pour la promotion par exemple, d’y consacrer 10 % de notre temps… mais pas trop quand même, l’important c’est d’être productif en recherche. Ces services sont souvent un fourre-tout, pour toutes activités effectuées pour l’université et dans la communauté que nous ne savons pas trop où classer. Et pourtant ! C’est un des moyens de sortir de la tour d’ivoire que l’on nous reproche parfois d’habiter, c’est notamment par ces services que nous pouvons contribuer à la communauté, universitaire ou civile. Voyez l’importance de nos évaluations d’articles, de mémoires et de thèses; nos participations aux multiples comités, départementaux, syndicaux, universitaires, nationaux et fédéraux, internationaux pour certains. C’est nos rapports avec les médias, avec diverses institutions publiques ou privées, nos efforts de vulgarisation pour le grand public, les ateliers de formation continue, les conférences, etc. C’est aussi, à travers tout cela, l’effort que nous devons faire pour faire connaitre le rôle de professeur, le valoriser. Et dans cette catégorie de service qui est au cœur de notre travail, de notre vie professionnelle, sont tous ces comités qui nous évaluent, nous financent, nous conseillent. Il n’y a pas d’autre profession qui implique autant de comités auxquels les individus participent généralement bénévolement. Notre rôle dans l’Université et dans la société s’effectue aussi beaucoup à travers ces comités de pairs. Pourtant, certaines études montrent qu’une grande partie de notre stress professionnel est dû, justement, à ces évaluations par nos pairs. Nous sommes durs et exigeants envers nous-mêmes, envers les autres, dans un cercle vicieux dont il est parfois difficile de sortir, en particulier dans un contexte où le sous-financement de la recherche en exacerbe l’aspect compétitif.
Dernière composante de la tâche, la seule « optionnelle », la direction pédagogique. Tout notre texte aurait pu porter sur celle-ci, tant il y a à dire, et d’autres textes s’y consacreront. Nous nous sommes penchés récemment sur celle de direction de département. La raison, le manque de candidatures pour ces postes. La lourdeur de la tâche administrative en est une raison certaine. Elle dérive de ce que nous considérons comme une absurdité : beaucoup des tâches administratives ont été abandonnées justement à l’administration. Celle-ci se spécialise, recrute principalement des gestionnaires et se déconnecte de plus en plus des départements, de ce que nous sommes, la base, l’essence même de l’Université. Cette déconnexion existe à tous les niveaux, interne à l’université comme externe, aux niveaux gouvernementaux par exemple. Ainsi, il faut de plus en plus s’expliquer, se justifier, rendre des comptes. Ce qui pourrait être de bonnes pratiques devient une lourdeur inutile lorsqu’il faut, pour tout, expliquer et se justifier à plusieurs reprises, quand les formulaires à remplir sont inutilement complexes. L’administration enfle, non pas en ressources de soutien pourtant tellement nécessaires, mais en personnel de contrôle, qui doit lui-même aussi rendre des comptes plus nombreux. Le syndicat travaille très fort pour arrêter, ou du moins ralentir, cette dérive. Ces tâches administratives sont très exigeantes et loin, généralement, de notre passion, de ce pourquoi nous avons étudié et été embauché.e.s. Comme le dit un collègue, c’est un apostolat – et ce n’est pas pour tous. En plus d’être marquée par la lourdeur administrative, cette tâche de direction est marquée par un manque de reconnaissance – de la part de l’administration, mais aussi, trop souvent, des collègues. La valorisation est ici aussi de mise. Pensez-y.
Pour terminer ce texte plus légèrement, nous voudrions revenir sur deux avantages prévus dans la convention collective des professeurs d’il y a 50 ans. En plus d’avoir un stationnement gratuit, les enfants et époux, épouse du professeur.e pouvaient s’inscrire sans frais de scolarité et l’Université s’engageait à fournir aux professeurs des salons dans chaque pavillon pour des rencontres.